Biographie
Je ne sais pas depuis combien de temps j’étais dans la terre, entouré de grains de mille tailles, couleurs et textures, sans me rendre compte que des vers sombres dévoraient mon environnement, voyageant dans des torrents d’eau, changeant de posture.
Je sais seulement, qu’un jour je me réveillai, que mon corps se désaxa, que je sentis en même temps la chaleur et le froid, l’humidité et l’aridité, et que les murs qui m’enfermaient succombèrent faibles devant la force qui naissant minuscule et qui était déjà incontrôlable.
Je me crus capable.
Je voulus occuper tout l’espace, frapper le plafond et taillader le sol. Me séparer en extrêmes opposés et capter l’énergie, tout prendre et rien perdre.
L’employer pour continuer à croitre, pour continuer à sortir.
Derrière moi, il y avait mes sœurs, orphelines d’avenir ou attendant des conditions plus clémentes, résignées ou pensant peut-être qu’il n’était pas encore temps. La lumière et l’air se sont précipités pour m’accueillir, lorsque je suis entrée dans ce monde et que je l’ai ajouté à mon monde de départ.
Ils changèrent mes vêtements, déchirèrent mes habits, ils me peignirent en vert, déplièrent mes plis, m’abîmèrent pour me rendre plus fort. J’ai supporté leurs assauts, me pressant contre le sol, me pliant et revenant à la verticale, supportant le poids des gouttes froides et fermant mes pores pour voir si je ne rien perdre.
Aujourd’hui, le vent me coiffe, le soleil et la pluie me nourrissent, et en retour je les sers pour porter les nouvelles de l’espoir de la nuit au jour et pour, en paix, porter leurs enfants d’en bas à en haut.
Et sans être très vieux, j’ai beaucoup vu, seules les pierres me battent dans le sommeil, parce que le reste court et s’use, comme ces êtres véloces qui se cachent sous moi, qui quelques fois sont agréables et parfois avec intention me blessent. Ils ne semblent pas comprendre qu’il n’est pas nécessaire de rompre quoi que ce soit, que tout est déjà là, qu’il suffit d’emprunter les choses et de les traiter avec soin, parce qu’elles n’appartiennent à personne, mais que nous appartenons tous les uns aux autres. J’espère qu’un jour ils comprendront cette chose simple : nous ne sommes personne si nous ne sommes pas tous.
Mon temps s’épuise, mais j’accomplis déjà mon souhait, qui est de parcourir cette terre à travers mes enfants, qui sont déjà loin, voguant sur les eaux et s’accrochant au vent
Clemente T. T.
Mérida Yucatan 1898