L’humilité

L’humilité

En 2011, j’ai reçu la dernière missive de V… Il vivait à Cabo San Lucas où il coulait une petite vie de rentier et se disait artiste. Aujourd’hui disparu, j’ai voulu lui rendre hommage en publiant l’unique lettre que je garde de lui :

  Salut !

Que onda bros …., j’espère que tu vas bien en compagnie de partenaire et de progéniture… c’est anthropologique !
Les vagues ont été superbes ces derniers jours ici à Cabo. Je ne les ai vues que de loin… elles déferlent progressivement de droite à gauche et forment « le tube ». Les surfeurs appellent le fait d’être dans le tube « to be in the green room ».
Dans la « green room » tout est en mouvement, tout circule, surtout l’adrénaline… entre la force qui te pousse vers l’extérieur et la force qui t’aspire, entre la force qui t’envoie vers le haut et la gravité… entouré d’une autre atmosphère… et avec l’adrénaline, tu établis l’équilibre… tu es le centre au sein de toutes ces forces …. Pour un moment tu est divin, au sens large du terme, …..

Si tu n’établis pas l’équilibre, la mer ne t’apprendra que l’humilité. Elle enverra ton corps comme un pantin désarticulé vers le fond… « Prends soin de ta nuque et laisse-toi faire ». « Ne te bats pas avec la mer, tu perdras »… les secousses sont terrifiantes, elles te maintiennent au fond, tu sens tes poumons brûler par manque d’oxygène… et tu ne peux pas remonter car tout n’est qu’écume… quand tu aperçois enfin la surface, une autre montagne blanche se referme sur toi, gonflée de l’écume de la vague précédente, avec toutes ces forces internes que tu n’as pas su manier …. Avec tout ce sel et toute cette fureur… la mer t’apprend l’humilité.

Pietro, un Italien dégaine d’Apache (avec qui j’ai l’habitude de partager un churro avant d’aller surfer), m’a raconté qu’il avait vu, à Huatulco, des amérindiens qui se laissaient aspirer par « le tube ». En boogie, ils surfaient en rond à l’intérieur et sortaient en courant la vague sur la pente découverte… Je pense que ce n’est qu’une légende de surfeur… Cependant, son visage s’est tellement illuminé quand il prétendait s’en souvenir que cela m’a fait douter… Cela impliquerait qu’ils n’établissent pas d’équilibre… Qu’ils laissent faire les forces… Ils se laissent porter, et ils jouent avec !… Au diable la divinité !… La mer t’enseigne l’humilité.
Tout cela pour vous dire que je vous aime… prenez soin de vous. et ne cherchez pas l’équilibre . . . . . . . . . . . . . . . . il n’y en a pas .

                                                     V…..

                                      Cabo Finisterra 2011

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