Notre problème.
Le monde contemporain est confronté à un défi majeur : combattre les effets délétères su capitalisme financier dont la pierre angulaire aujourd’hui est le triptyque, l’actionnariat, finance et liberté d’entreprendre.
L’actionnariat est issu des entreprises coloniales, ce modèle finançait des expéditions coûteuses en permettant à des individus ou institutions d’investir dans des parts d’une société. Avec le temps, il est devenu central dans l’économie moderne, affectant profondément la gouvernance d’entreprise et la responsabilité sociale des investisseurs, tout en provoquant de nombreux scandales sanitaires, environnementaux et économiques.
Les dérégulations des années 1980, qu’elles soient initiées par des conservateurs (USA, Angleterre) ou des socio-démocrates (France, Allemagne, Espagne), outre la délinquance financière, ont favorisé l’essor d’entreprises financières axées sur la spéculation, souvent elles-mêmes détenues par des actionnaires. Ces firmes spéculent sur les actions, les matières premières ou des produits financiers complexes, alimentant une dynamique où la quête de rendements rapides reconfigure toute la chaîne économique.
Dans ce modèle, les chefs d’entreprise sont chargés de maximiser la valeur des actions et de rémunérer les actionnaires. La grande liquidité des marchés financiers, facilitant les transactions instantanées, intensifie les pressions en cascade : les actionnaires et épargnants exigent des rendements, transmettant cette attente aux gestionnaires de portefeuilles, puis aux dirigeants et à leurs collaborateurs. Ce système confère aux investisseurs un pouvoir colossal sur les décisions managériales, que les spéculateurs exploitent pleinement. Par ailleurs, il force les entreprises à offrir des rémunérations exorbitantes aux managers pour garantir leur loyauté.
Ces investisseurs échappent pourtant à toute responsabilité – civile, judiciaire ou morale – pour les conséquences de leurs choix. Motivés par les dividendes et la valorisation des actions, ils ignorent souvent les impacts sociaux et environnementaux des entreprises dont ils attendent des performances. Cela a conduit à des pratiques néfastes dans des secteurs tels que le tabac (1), la pétrochimie, la pharmacie, les réseaux sociaux et l’automobile. Par exemple, les entreprises de tabac ont longtemps nié la nocivité de leurs produits, tandis que certaines pétrochimiques minimisent encore aujourd’hui l’impact du changement climatique.
Face à ces scandales, les entreprises s’appuient sur des cabinets de communication. Des équipes de individus payés pour pour dissimuler des informations ou manipuler l’opinion publique, allant jusqu’à financer des mouvements politiques niant les conséquences de leurs activités. Bien que ces pratiques soient anciennes, elles se généralisent aujourd’hui.
Des groupes économiques puissants financent des campagnes de désinformation et des idéologies prônant une « liberté économique » illimitée. Cette « liberté » se traduit par l’ignorance volontaire des impacts sociaux, environnementaux et sanitaires, tout en limitant la redistribution des richesses et en concentrant davantage le pouvoir économique.
Cette dynamique favorise la sélection de dirigeants dont le profil psychologique et idéologique s’aligne sur les logiques du système. Ces individus, souvent dénués d’empathie (2), créent des environnements politiques garantissant leur impunité. Immunité dont ils ont besoin pour satisfaire les attentes des investisseurs. Ainsi, le système économique actuel divise nos sociétés et engendre les monstres qu’il prétend combattre. Le modèle actionnariale, exacerbé par la fluidité des marchés, renforce l’irresponsabilité des investisseurs tout en déstabilisant nos structures sociales.
Ce phénomène (3) s’appuie sur une caractéristique fondamentale de la cognition humaine : la dissonance cognitive. Lorsque nos comportements contredisent nos valeurs, nous justifions souvent nos actions plutôt que de les changer, ce qui modifie nos valeurs et notre perception du monde. Ainsi, les actionnaires des entreprises coloniales ont promu, ce que nous appelons aujourd’hui, le racisme pour justifier l’esclavage, tout comme les industriels du tabac ont nié les dangers de leurs produits, ou les dirigeants actuels minimisent l’impact de leurs industries polluantes. Elon Musk, par exemple, finance des mouvements anti-régulation pour faciliter les projets hyper-polluants de Starlink.
Les dirigeants des réseaux sociaux ne font pas exception à cette loi; Ils n’ignorent pas les effets pervers de leurs algorithmes. Ces systèmes, conçus pour maximiser l’engagement, exploitent des biais psychologiques pour capter l’attention. Ils favorisent la viralité de contenus sensationnalistes ou polarisants, au détriment d’une information équilibrée. Il n’est pas étonnant que certains, gênés par les timides tentatives de régulations émergentes, se tournent vers un libertarianisme d’extrême droite et appellent à la suppression de toute régulation.
Dépuis ses débuts, le capitalisme, qui n’a jamais été exempt de contradictions, mais aujourd’hui son évolution est parvenu à un modèle hautement toxique, pour l’environnement et pour la société, dans son ensemble. Le plus terrible est que ce sont justement les dégâts qu’il provoque qui permet à ses élites de diviser et polariser la société.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel de promouvoir et soutenir l’économie sociale et solidaire (ESS) et l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC), notamment à travers des modèles associatifs et coopératifs.
En parallèle, il est urgent d’instaurer des mécanismes rendant les actionnaires et spéculateurs responsables de leurs choix. Tant que leurs pertes seront limitées à leur mise initiale, ils continueront à exercer des pressions nuisibles sur les dirigeants. Limiter la fluidité des capitaux et rendre les investissements traçables sont des étapes cruciales pour une économie plus responsable. Sans cela, sous prétexte de « liberté », le système continuera d’assurer l’impunité de ceux qui provoquent les crises que nous traversons.
Notes
1. Les industries du tabac, comme aujourd’hui certaines pétrochimiques, ont fait partie des « dividend kings », entreprises reconnues pour leur capacité à verser des dividendes réguliers et croissants au fil du temps.
2. Les travaux des psychologues James Fallon et Kevin Dutton ont révélé que certains traits psychopathiques sont fréquents chez les grands dirigeants. Fallon a montré que ces traits sont liés à une faible activité dans les zones cérébrales associées à l’empathie. Dutton souligne que ces caractéristiques, bien que controversées, peuvent être des atouts dans des environnements compétitifs.
3. Ce qu’on observe là dépasse les systèmes politiques et économiques spécifiques : il s’observe dans toute société où les groupes sociaux ont des fonctions distinctes. Que ce soit dans les sociétés féodales, les régimes communistes du XXᵉ siècle ou les systèmes capitalistes modernes, les groupes dominants, pour préserver leurs privilèges, doivent souvent justifier des comportements contraires aux valeurs collectives. Par ailleurs, même au sein d’une société, les fonctions sociales façonnent des systèmes de valeurs différents, voire opposés : ainsi, les enseignants, chargés de former des citoyens critiques et éclairés, peuvent développer des valeurs humanistes, tandis que les militaires, dans leur rôle de défense et d’obéissance hiérarchique, privilégient des valeurs comme la discipline ou le sacrifice. Ces disparités reflètent l’influence de la fonction sociale sur les croyances, mais elles sont amplifiées par la dissonance cognitive, qui pousse chaque groupe à rationaliser ses choix et ses actions. Ce mécanisme engendre des idéologies qui légitiment des pratiques spécifiques, perpétuant les divisions et les tensions au sein de la communauté.